Chaque année, plusieurs centaines de milliers de tonnes de déchets amiantés sont à gérer en France. Et jusqu'à présent, seules deux filières étaient possibles : principalement la mise en décharge, et pour une toute petite partie (quelques milliers de tonnes) la vitrification par torche à plasma, très énergivore. Une alternative est pourtant possible : la conversion de ces déchets d'amiante en ressources minérales non dangereuses et à valeur ajoutée via la « dissolution » de l'amiante avec un acide. Pour les 24 millions de tonnes d'amiante encore en place en France, sous forme d'amiante libre (flocage par exemple) ou liée (plaques d'amiante-ciment), c'est donc l'opportunité d'une nouvelle filière d'économie circulaire.
Des brevets innovants
Deux startups ont commencé à se faire connaître dans ce domaine : Valame, société fondée en mars 2019 qui s'appuie sur des brevets de l'INP Toulouse, et Neutramiante, startup corse qui s'appuie aussi sur deux portefeuilles de brevets et qui a récemment reçu le prix Coup de cœur des premiers Trophées Innovation Recyclage.
Dans les deux cas, l'idée est d'attaquer l'amiante (préalablement broyée) à l'acide : chlorhydrique pour Valame, sulfurique pour Neutramiante. Cette attaque a pour but de détruire les fibres d'amiante en créant une phase liquide dans laquelle on retrouve des sels de magnésium à haute valeur ajoutée en industrie, et des particules minérales (silice et/ou gypse) également valorisables. L'intérêt de l'approche est de totalement déstructurer l'amiante qui perd donc sa dangerosité, permettant aussi, en produisant une nouvelle matière première, de désengager le producteur du déchet de sa responsabilité légale. Mieux, cette approche, grâce à la valorisation des composés obtenus, est compétitive avec la mise en décharge (aujourd'hui d'environ 350 €/t).
Plusieurs années d'optimisation
Sur le papier, la destruction de l'amiante avec valorisation de coproduits paraît être une solution évidente et finalement simple à mettre en œuvre car prenant appui sur des processus connus de broyage-contacteur-filtration. Mais des années de travaux et d'ajustement des réactions ont été nécessaires pour faire mûrir ces procédés nés dans les laboratoires, dès 2009 pour le procédé retenu par Valame, et breveté en 2011 pour Neutramiante. Comme l'explique Paul Poggi, fondateur de Neutramiante, « une filière opérationnelle de conversion des déchets amiantés n'était pas envisageable il y a quelques années car, au début, la conversion de l'amiante était certes complète mais très lente ». Tout le travail a donc été d'optimiser les réactions pour trouver les conditions opératoires (température, pression, temps de séjour, mise en contact etc.) permettant une réaction en 6 à 8 heures (contre huit semaines à l'origine) et à une température modeste (100°C). La réaction étant exothermique, l'énergie récupérée suffit presque à l'alimentation du procédé. L'acide est, quant à lui, régénéré en fin de cycle. Ainsi optimisé, le procédé de décomposition de l'amiante affiche un coût de fonctionnement équivalent à celui de mise en décharge, la valorisation des coproduits permettant ensuite de générer de la rentabilité.
Dans la phase solide issue du procédé de Neutramiante, on trouve de la silice (conforme aux cahiers des charges des producteurs de zéolithes) et du gypse/anhydrite (des sulfates de calcium) sous une forme granulaire directement vendable à la filière cimentière. Cet apport en gypse permet en effet de réduire la température de cuisson du clinker, réduisant donc l'impact carbone de la filière cimentière. C'est ensuite dans la phase liquide qu'on extrait, par précipitation, des sels de magnésie, des cristaux à très haute valeur ajoutée pour la filière du magnésium métallique. Globalement, Paul Poggi estime qu'une installation de traitement de déchets d'amiante pourrait, grâce aux différents revenus de traitement et de valorisation des coproduits, être amortie en seulement trois ans. Chez Valame, où tous les détails n'ont pas encore été dévoilés, c'est la même stratégie qui se décline avec des coproduits un peu différents, puisqu'à côté des silices, des sels de type chlorures sont produits (chlorures de magnésium, chlorures de calcium…).
Vers des unités de traitement mobiles au plus près des sources de déchets
L'objectif, dans les deux cas, est de proposer au marché une solution technique qui permettra non seulement l'implantation disséminée d'installations de traitement fixe, mais surtout de pouvoir traiter les déchets au plus près de leur lieu de production grâce à des unités mobiles sur camion (réduisant les contraintes et coûts liés au transport). Toutes les formes de déchets d'amiante sont concernées par cette filière en devenir, l'amiante dite libre ou celle liée dans des matrices cimentaires, et également les sols amiantifères (donc pollués) qui, dans certaines régions comme la Corse, constituent un problème majeur pour l'aménagement territorial.
En termes de développement, les deux startups sont actuellement en phase pré-industrielle. Valame est au stade de la construction d'un prototype qui devrait permettre de traiter 500 tonnes de déchets en 2020. Neutramiante, accompagnée par De Dietrich, vise la phase pilote industrielle, avec une première unité fixe de 14 000 à 20 000 tonnes/an pour laquelle trois régions se sont déjà déclarées intéressées.
À noter que la startup Extracthive, dont la vocation est le développement et l'industrialisation de procédés de valorisation de déchets complexes, travaille également sur ce type de procédé pour l'amiante. Un nouveau brevet sur la destruction et la valorisation de l'amiante a aussi été publié cette année par l'école nationale supérieur de chimie de Montpellier, avec le CNRS et l'université. Autant d'initiatives qui permettent donc de croire en l'émergence d'une nouvelle filière industrielle d'économie circulaire dans le monde de l'amiante, avec de fortes perspectives en France mais aussi en Europe.